Dieter Roth

°1930 †1998
Died in Basel, CH
Born in Hannover, DE

Dieter Roth était un poète, sculpteur, graphiste suisse ainsi qu’un contestataire interdisciplinaire qui a commencé sa carrière dans la tradition de la poésie et de la peinture romantique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le jeune Dieter Roth est arrivé en Suisse où il a pu échapper aux bombardements et aux mouvements de jeunesse nazis. Pendant ces années, il est resté dans une sorte d’hôtel comme un étranger parmi les étrangers. Contrairement à ses parents, ses parents d’accueil ont laissé le jeune Dieter faire tout ce qu’il voulait. Il a décidé de quitter l’école à dix-sept ans et a commencé un stage en tant que graphiste. Quelqu’un lui avait expliqué qu’il était possible d’imprimer en gribouillant sur une surface avant de l’enduire d’un produit et d’imprimer sur un support. Pendant la semaine, il travaillait pour des magazines, des agences de publicité, etc. Le week-end, il a commencé à faire des expériences avec quelque chose qui allait plus tard devenir le début d’une œuvre très personnelle.

Le jeune Dieter Roth regardait dans le miroir, gribouillait son autoportrait au fond d’une boîte de conserve, appliquait du cirage et l’imprimait ensuite. Il trouvait que c’était un échec. Dix ans plus tard, il a suivi le même procédé en le combinant avec ses peintures à l’huile. Et c’est devenu un classique dans toute son œuvre : son autoportrait qui apparaît dans une œuvre d’art qui est dégradée et presque détruite pour qu’elle puisse mener sa propre vie.

« Je m’intéresse aux choses qui ne fonctionnent pas, qui se dépérissent et qui parviennent néanmoins à soutenir l’image et à la rendre plus forte. »

Roth a passé une grande partie de sa vie adulte à Reykjavik (Islande). Cette période l’a isolé du monde artistique et l’a en même temps placé à un endroit stratégique entre l’Europe et les États-Unis. Il a ainsi pu créer son esthétique propre qui était surtout anti-esthétique. Il était surtout très impressionné par le travail du sculpteur, peintre et poète Hans Arp et du peintre André Thomkins. Son travail est devenu une lutte contre l’ancienne génération et contre ceux qu’il a admirés. Roth voulait être le meilleur dans chaque discipline qu’il pratiquait.

Dans les années cinquante et soixante, il s’est laissé embarquer dans le mouvement Fluxus et a rencontré des artistes comme Ben Vautier, Dorothy Iannone et Robert Filliou. Roth a participé à des happenings et à des concerts Fluxus et a continué à élargir son éventail de disciplines maîtrisées. Il n’avait pas de limites.

Il ne jetait jamais rien, car tout lui semblait avoir du sens. C’est le travail de milliers de créateurs que nous jetons. Roth associait la précision d’un minimaliste qui éliminait tout ce qui était superflu jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, avec l’accumulation obsessive d’un fou agité, d’un bricoleur et d’un dadaïste qui ne peut jamais dire « non », qui ne parvient jamais à prendre une véritable décision, mais qui fait immédiatement ce qui lui passe par la tête ; un artiste qui semblait vouloir se noyer dans le marais d’une œuvre immense qui n’était jamais supposée résister à l’épreuve du temps. Roth s’appropriait toutes les disciplines et associait la peinture, la sculpture, l’impression, la photographie, la vidéo et les sons dans des œuvres globales. Fasciné par les mécanismes de la transformation, Roth utilisait une large gamme de matériaux et d’objets comme des ustensiles, des meubles, des écrans et de la nourriture dans un processus qui dévoilait en permanence la variabilité de l’œuvre. Roth estimait que les œuvres d’art devaient changer, de la même manière que les personnes vieillissent et meurent.

Avec son Portrait of the artist as a Vogelfutterbüste de 1968, il a créé une série de bustes, de multiples de soi-même dans la peau d’un vieil homme avec un mélange de chocolat et de graines pour oiseaux. Les statues étaient destinées à rester sur un socle dans un parc pour que les oiseaux puissent les manger. 

Quelques années plus tôt, Roth avait emmené l’art de la « poésie concrète » en terrain inconnu et inédit avec son œuvre Literaturwurst (1961-1964). Il a transformé des livres connus de notamment Günter Grass ou l’œuvre complète de Hegel en saucisses ; le texte le texte a été passé au moulin avec de la graisse et des épices. La couverture du livre en question a été collée sur la peau de la saucisse et Roth a créé une publication séparée avec la recette. En 1966, il a publié une série de recueils poétiques avec comme titre Scheisse- Neue Gedichte von Diter Roth. Pour le poème introductif intitulé « mein Auge ist ein Mund », il a représenté le projet de toute sa vie qui est de s’échapper de l’esthétique traditionnelle et d’ébranler la domination du regard dans les arts plastiques. Roth crée des œuvres et des publications avec du fromage, du yaourt, des bananes et du chocolat comme s’il voulait utiliser ces matériaux périssables pour associer l’odeur de putréfaction de la mort au « regard de l’art ».

En 1970, Roth a organisé un Staple Cheese : A Race dans la galerie Eugenia Butler (Los Angeles). En plus d’autres « œuvres de fromage », il a exposé 37 valises remplies de Cheddar, de Limburger, de Camembert et de Brie. Les valises étaient initialement fermées comme des livres. Chaque jour, une valise était ouverte et l’autre œuvre avec du fromage commençait à sentir mauvais et à pourrir sous le soleil du printemps de Californie jusqu’à ce que les services d’inspection de la santé de la ville soient appelés pour évacuer l’œuvre. L’exposition était également un bon échantillon du courant de pensée anti-commercial. Elle a fait l’objet de nombreuses discussions, mais personne ne savait que penser de cet « anti-esthétique » qui tirait la langue au cirque.

« Je me considère comme un inventeur de machines dont l’objectif est d’amuser (ou d’inspirer) les sentiments (ou les pensées) et d’aider cette culture d’Europe centrale, qui progresse péniblement en troupeau, à s’en sortir. »

Dans les années 80 et 90, Dieter Roth s’est concentré sur les grandes installations. Son œuvre la plus connue de cette période était Gartenskulptor (Garden Sculpture), une installation qui évolue en permanence où plusieurs œuvres d’art étaient montées sur des grilles. L’installation a été assemblée dans différents jardins et ensuite également dans des espaces intérieurs. Il s’agissait d’une collaboration avec son fils Björn Roth.

Au cours des dix années qui ont suivi, Roth a continué d’explorer en permanence de nouvelles idées, indépendamment du support utilisé. Même si le dessin devait rester instrumental, aucun support n’était à l’abri de sa main de maître. Son travail graphique a également été brillant. Le caractère périssable sur lequel repose la majorité de son travail semble être un petit cauchemar pour les conservateurs, mais le fait que ces matériaux organiques prennent finalement le dessus sur l’« œuvre » de l’artiste est parfois à l’origine d’une magnifique esthétique et poésie. Il est facilement possible de reconnaître la touche de Dieter Roth, même s’il a essayé d’éviter au maximum ce phénomène au cours de sa longue carrière.

« Je pense que l’image rémanente de mon œuvre est précisément le contraire de ce que j’ai fait ou de ce qu’il reste ; même s’il peut s’agir de quelque chose de répugnant, l’image rémanente est malgré tout intelligente et pure. »

Le processus de création était la vie. Le produit fini était la mort. Roth y a gentiment mis un terme.

« Pour moi, l’art est révolu. Car il n’a plus rien à dire. Il ne peut pas raconter la vérité. Au moment où un dessin est accroché au mur, il n’a plus rien à dire. Il est seulement là pour être observé. »

DE